D’honnêtes prépositions

Le français est une langue très précise, dans laquelle les relations entre les différents termes sont marquées de façon exacte. Elle serait, à ce titre, la langue scientifique par excellence… sauf que sa consœur l’anglais s’est taillé la part du lion pour d’autres raisons. Si le français est tellement puissant, c’est qu’il est très exigeant, et, en tant que locuteurs et rédacteurs de cette langue, nous devons satisfaire à ses exigences.

Parmi toutes les prépositions françaises, sur est sans doute celle qui donne le plus de fil à retordre et qui, après de et à, revient le plus souvent. Pleins feux sur sur.

Une préposition sur mesure

Sur prend différentes valeurs, indique certaines relations. Les principales sont les suivantes (les quatre premières étant plus concrètes, les autres, plus abstraites) : a) en haut (avec l’idée de surface en dessous) : un immeuble érigé sur un terrain; b) avec une idée de mouvement : appuyer sur un bouton; c) superposition (sans qu’il y ait nécessairement contact) et voisinage immédiat : un verglas qui s’est abattu sur tout le Québec, Saint-Jean-sur-Richelieu; d) direction : aller sur la droite; e) une idée de considération : juger quelqu’un sur sa mine, compter sur quelqu’un; f) au sujet de : une brochure sur les camps d’été; et g) par rapport à : 8 sur 10.

Les Québécois, dont la langue subit les assauts des anglicismes et des régionalismes, ne sont pas les seuls à éprouver certaines difficultés dans le maniement de la préposition sur. Les Belges et les Suisses, en contact avec les langues germaniques, reçoivent leur lot, de même que les Français, chez qui l’on relève différents emplois douteux, notamment le suivant : travailler sur Paris,sur indique la localisation (à).

Nuance !

Le choix de telle ou telle préposition apporte souvent une nuance… non négligeable. Croyez-vous que M. Blackburn travaille sur les trains ou à bord des trains ? S’il travaille dessus, il a intérêt à s’accroupir quand le train pénètre dans un tunnel.

Sur implique, comme nous l’avons vu, l’idée de superposition, mais dans implique celle d’être contenu à l’intérieur (en entier ou partiellement). L’on s’assied sur une chaise mais dans un fauteuil (sur le fauteuil supposerait que l’on se tienne en équilibre sur les bras et le dossier plutôt que l’on se cale dedans). Votre patron a-t-il une verrue sur le front ou dans le front ? Dans le premier cas, l’on suppose que le front est une surface; dans le deuxième, une partie du corps dans laquelle est de nouveau contenu quelque chose. Cela ne change en rien la verrue, me direz-vous !

Dans le cas d’Internet, les deux prépositions dans et sur se laissent justifier, mais il reste préférable d’utiliser la première (voyez ce qu’en dit Le  grand dictionnaire terminologique de l’OQLF à http://www.granddictionnaire.com/btml/fra/r_motclef/index1024_1.asp).

Parmi les expressions suivantes, celles qui sont fautives (que l’on utilise hélas parfois davantage) sont marquées d’un astérisque alors que la formule correcte est entre parenthèses :

*travailler sur une ferme (dans)
*revenir sur la ferme (à)
*siéger sur un comité (à, faire partie d’un)
*être sur une émission (participer à)
*marcher sur la rue (dans)
*sur l’étage (à)
*sur le mur (au)
*sur le journal (dans)
*sur le tableau, la liste (dans)
*se fier sur quelqu’un (à)
*sur semaine (en)

Soyons sur nos gardes !

Ce qui est trompeur, ce sont les couples verbe et nom qui ne se construisent pas de la même façon : par exemple, l’on discute de quelque chose, mais l’on a une discussion sur quelque chose.

Ce qui est encore plus trompeur, ce sont les constructions avec sur qui sont correctes : à force de se méfier de cette préposition, l’on finit par la censurer partout, même là où elle est bienvenue (cas d’hypercorrection). Mentionnons par exemple : tomber d’accord sur quelque chose, aller sur ses 30 ans, un rouge tirant sur le violet, sur la fin de l’hiver, vivre sur ses rentes, tourner sur la gauche, sur le bord de la route, mettre quelqu’un sur un travail, prendre exemple sur quelqu’un. Très trompeuses, les expressions être sur cette impression (plutôt que *sous), un panneau de 10 m sur 15 m (plutôt que *par), sur le plan de (plutôt que *au ou *au niveau de).

De à à de

Voici un itinéraire aller-retour qui va de à à de puis de de à à. (Vous me suivez ? À vouloir exploiter les possibilités d’une langue, on risque de devenir confus. Mais heureusement que l’italique, par sa fonction démarcative, nous aide à voir plus clair parmi nos assonances, même si la programmation en html, quant à la lisibilité des caractères, a encore beaucoup de chemin à parcourir.)

Différentes valeurs

À et de, les prépositions les plus fréquentes en français, sont amenées par un verbe (penser à Paul), un nom (l’arrivée de l’été) ou un adjectif (fier de soi), et introduisent parfois un complément circonstanciel (à cinq heures). Elles se retrouvent même dissimulées sous les formes contractées au, aux, du et des (comparez aller à l’école et aller au (à + le) collège).

À indique parfois une relation précise, notamment : a) l’appartenance (à qui appartient ce gage ?, son projet à lui); b) une manière d’être ou une fonction (venir à plusieurs, une boîte à outils); c) des rapports de direction (aller au diable); et d) des rapports de position ou de lieu (vivre à l’étranger), mais peut aussi être vide de sens, marquer tout simplement une relation grammaticale (recourir à la force).

De façon analogue, de indique parfois une relation précise, comme par exemple : a) la provenance, qu’elle soit figurée ou non (venir de la Gaspésie); b) le temps et la durée (de juin à août); c) la manière (de l’avis de tous); d) la matière (une table de verre); e) l’appartenance (les patates de Provigo); f) le moyen ou l’instrument (armée d’un parapluie); et g) la mesure (avancer de deux crans). Dans certains cas, de aussi sera vide de sens et tout simplement introduira un complément (la ville de Laval, parler de tout et de rien).

Les valeurs de ces deux prépositions, comme vous venez de le constater, sont parfois très proches, d’où certaines confusions. Ce qui est pis, c’est qu’elles sont parfois imprécises et que leur emploi se confond donc facilement. Dans ce qui suit, je ne toucherai que les problèmes concernant à ou de.

Blanc bonnet et bonnet blanc, et autres bonnets

Dieu merci (mais la liste est courte, me direz-vous), l’on relève quelques exemples où il est possible d’employer à peu près indifféremment les prépositions à ou de : faire quelque chose à/de nouveau, à l’avance/d’avance, continuer à/de, c’est à vous à/de… Avec certains mots, une des prépositions plutôt que l’autre semble plus courante, sans que l’autre soit impossible : à côté de la capacité de, on constate la capacité à; à côté de la difficulté à, on remarque la difficulté de (quoique cet usage soit considéré comme vieilli).

Dans d’autres cas, le recours à de fait plus correct, à n’étant pas tout à fait exclu : une robe de 100 $, de la confiture de fraises, le chapeau de Marie (l’emploi de à est dans ce dernier cas toujours considéré comme du français relevant d’un niveau familier ou populaire : on ne l’écrira jamais, mais on a toujours la possibilité de l’utiliser à l’oral entre amis).

Il importe, en revanche, de bien départager d’autres emplois où une nuance de sens ou carrément une différence de sens se fera sentir : l’exemple classique reste celui du verre à vin, qui « sert pour » le vin (on spécifie la fonction ou les caractéristiques, comme dans classeur à anneaux, patins à roulettes, machine à écrire), et du verre de vin, qui est « rempli de » précieux liquide (on souligne plutôt le contenu, au propre ou au figuré, comme dans roman de science-fiction, pochette d’information).

Parfois de façon encore plus nette, le sens que l’on veut donner à la phrase influe sur le choix de la préposition. Ainsi, dans l’introduction à de nouvelles technologies, c’est nous qui sommes initiés, alors que, dans l’introduction de nouvelles technologies, ce sont les technologies elles-mêmes qui sont introduites. Il en va de même si l’on compare la participation à de nouveaux groupes et la participation de nouveaux groupes.

Le portrait de Chantal

Il est amusant de remarquer que le sens de la préposition s’avère parfois ambigu, mais que le rédacteur ne peut recourir de façon simple et rapide à une autre préposition pour lever cette ambiguïté. Dans le portrait de Chantal, le lecteur ne sait au juste si Chantal est la personne dont on a fait le portrait (le modèle), celle qui l’a peint (l’artiste) ou celle à qui il appartient (la propriétaire). C’est le contexte qui fera préférer tel ou tel sens. S’il n’est pas assez déterminant, le rédacteur aura intérêt à être plus explicite pour être sûr d’être bien compris.

Parmi les expressions suivantes, nous avons marqué d’un astérisque celles qui sont fautives (et qu’il faudra remplacer par les expressions entre parenthèses) :

*à chaque fois (chaque fois)
*à matin (ce matin)
*aider à quelqu’un (aider quelqu’un)
*toucher à cette question (toucher cette question : toucher à implique un geste concret)
*c’est au tour à Paul (de Paul)
*être à faire un travail (être en train de faire; ces temps-ci, faire un travail)
*parler de d’autres personnes (parler d’autres personnes)

Renseignons-nous

Le mieux, c’est d’être bien informé. Je vous rappelle les ouvrages de référence habituels : un bon dictionnaire de langue (Petit Robert ou Lexis), des dictionnaires de difficultés du français (Multidictionnaire, Dagenais, Thomas, Hanse) ou l’ouvrage plus récent de Maurice Rouleau, Est-ce à, de, en, par, pour, sur ou avec ?, paru en 2002 chez Linguatech.

Si vous avez un problème de (ou avec une) préposition, écrivez-moi : je vous répondrai sans faute.