Voyage au milieu des noms de lieux

Tout ou presque porte un nom. Il en va de même des lieux que nous habitons ou de ceux auxquels nous rêvons. Comme il est plus poli de bien orthographier le nom des personnes avec lesquelles nous entrons en contact, il est aussi respectueux d’écrire correctement le nom des lieux qu’elles habitent.

Les principaux problèmes éprouvés dans l’écriture des noms de lieux (ou toponymes, si l’on veut parler de façon savante) résident dans l’utilisation de la majuscule et du trait d’union. Ces noms se retrouvent dans le corps des textes et dans des adresses… ou encore sur des cartes géographiques. Voyons-en les principales règles.

Générique et spécifique

Pour bien appliquer ces règles, il faut bien comprendre et distinguer les différentes parties d’un nom de lieu. D’une part, on appelle générique la portion d’un toponyme qui désigne un type d’entité géographique : par exemple fleuve dans fleuve Saint-Laurent ou mont dans mont Tremblant. D’autre part, on nomme spécifique la partie qui désigne l’entité elle-même : Saint-Laurent et Tremblant.

En tant que nom commun, le générique (contrairement à l’anglais) ne prend jamais de majuscule à moins qu’il ne soit en début de phrase (ou de ligne dans une adresse ou sur une carte, ce qui équivaut à une fonction démarcative). Mais le spécifique et tous les mots qui le composent prennent la majuscule à l’exception des articles et des prépositions. De plus, tous les mots qui forment un spécifique de toponyme administratif sont reliés par des traits d’union sauf là où il y a une apostrophe (Laval-sur-le-Lac, avenue Vincent-d’Indy). Les toponymes administratifs regroupent les entités qui émanent de l’homme (et son administration) alors que les toponymes naturels désignent celles qui ont été créées par la nature (lac Carré, lac des Deux Montagnes).

Le générique ne s’abrège pas dans un texte mais seulement, si l’on est tenu de faire plus court, dans l’odonyme (un nom de voie de circulation) d’une adresse. L’on peut en faire l’économie dans certains types de dénominations (le Saint-Laurent) mais jamais dans une adresse (2045, rue Saint-Denis). Le spécifique, pour sa part, ne devrait jamais s’abréger, ni aucune de ses parties ni même Saint à moins, bien sûr, que l’on se heurte à un problème évident d’espace.

Notre beau mont Royal

C’est ainsi que, tout majestueux qu’il soit, notre mont Royal ne prend ni capitale à mont ni trait d’union (il s’agit d’un toponyme naturel dont mont est le générique) alors que, dans parc du Mont-Royal, Mont prend la capitale et est relié au mot qui suit par un trait d’union (parce que, dans ce toponyme administratif, Mont fait maintenant partie du spécifique tandis que parc est le nouveau générique).

On trouve la même règle, d’une portée très générale, dans l’ensemble des dénominations propres : l’adjectif qui précède un nom propre avec majuscule en prend aussi une, mais non l’adjectif qui le suit. C’est ainsi que l’on écrit Nouvelle-Calédonie et Haute-Savoie (remarquez le trait d’union) mais République française, Amérique latine et Ouest canadien. L’adjectif qui suit ne prendra une majuscule que s’il est relié par un trait d’union (Royaume-Uni, Montréal-Nord). C’est la même règle qui s’applique dans Nouveau Parti démocratique, Première Guerre mondiale et Maison-Blanche.

Cas particuliers

Nombre de cas semblent particuliers, mais en fait ils obéissent tous aux quelques mêmes grandes règles. Dans certains noms de villes, l’article fait partie intégrante du spécifique : il prend donc la majuscule (sans qu’il n’y ait pour autant de trait d’union). Considérez par exemple La Malbaie, Les Éboulements, Le Mans; s’il y a contraction avec une préposition, la majuscule tombe (la côte des Éboulements, les Vingt-Quatre Heures du Mans).

Si l’on désire faire l’économie du générique pour le nom de nos rivières, le genre féminin de l’article est souvent conservé (la Péribonka), mais l’usage en a décidé autrement pour plusieurs d’entre elles (le Richelieu, le Saguenay, le Saint-François et le Saint-Maurice). L’on écrira Abitibi-Témiscamingue avec un trait d’union, mais, si l’un des toponymes réunis en comporte déjà un, on aura recours à un tiret (le Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’axe Grands Lacs–Saint-Laurent).

Lorsque le générique suit le spécifique et qu’il est employé seul ou avec un point cardinal, il s’écrira avec la majuscule (4e Avenue, Grande-Allée, 5e Rue Ouest). S’il est suivi d’un autre déterminatif, il s’écrira avec la minuscule (4e rang des Mines). L’Office québécois de la langue française et la Commission de toponymie se sont entendus pour recommander l’usage de la majuscule au point cardinal d’une portion d’odonyme (3535, rue Sherbrooke Est).

La Belle Province

Si l’on sait bien la nommer, l’on sait beaucoup moins bien l’abréger, la raison principale étant qu’elle s’abrège mal. En effet, normalement, dans une forme abrégée, on coupe après une consonne, devant une voyelle (avec un point). Essayez avec Québec… vous verrez que ce n’est pas facile. On peut aussi conserver la dernière lettre du mot (comme dans 1er), sans point souvent (avec caractères surélevés), ce qui donnerait Qc. Pourquoi pas ! Yukon s’abrège bien en Yn. Mais, si l’on n’a pas d’autre choix (par exemple, un formulaire avec deux cases où l’on doit utiliser un symbole), l’Office québécois de la langue française recommande d’utiliser la forme Qc. On devrait toujours s’abstenir d’avoir recours à l’abréviation, même dans les adresses. Et pour éviter toute confusion avec la ville du même nom, l’Office recommande de mettre Québec entre parenthèses, alors qu’on n’a pas recours à cette stratégie pour les autres provinces canadiennes. D’où notre caractère distinct…

Au bon endroit au bon moment

Il existe une bible de tous les toponymes québécois : le Répertoire toponymique du Québec (Les Publications du Québec), environ 100 000 entrées, de l’île aux Fesses au lac Zut en passant par quatre ou cinq pages de lacs Long et de rivières à la Truite. La Commission de toponymie du Québec invite maintenant les internautes à consulter son répertoire en ligne (plus de 200 000 entrées (odonymes compris) : www.toponymie.gouv.qc.ca) et a préparé plusieurs guides, dont le Guide toponymique du Québec et le Guide odonymique du Québec (Les Publications du Québec, mais épuisés). Ne manque pas d’intérêt non plus la page de la Liste des gentilés (noms des habitants) du Québec (www.toponymie.gouv.qc.ca/lesgentiles.asp), qui comprend un moteur de recherche ainsi que de longues listes de noms de lieux accompagnés des noms d’habitants des lieux correspondants. L’ensemble des règles d’écriture sont données de façon très claire dans une autre page du site de la Commission : (www.toponymie.gouv.qc.ca/regles.htm). Le Multidictionnaire de Marie-Éva de Villers (Québec Amérique) saura toujours bien vous dépanner pour les cas les plus courants. Pour vérifier un nom de lieu au Canada mais à l’extérieur du Québec, allez consulter geonames.nrcan.gc.ca/index_f.php. Pour tout ce qui concerne le reste du monde (en particulier les États-Unis d’Amérique), cliquez sur Liens d’intérêt dans le site de la Commission de toponymie du Québec. Je remercie M. Christian Bonnelly, qui a pris la peine de relire ce texte, qui m’a aidé à préciser certaines explications et qui invite quiconque se pose des questions à communiquer avec le service de consultations toponymiques de la Commission au 418 643-2817. Bon voyage !