Les traits saillants des traits d’union
« S’il vous plaît, pourriez-vous nous en faire voir un, un chandail, dans les teintes bleu pastel ou feuille-morte, qui aille bien avec cette jupe-là et qui soit archifacile à laver. » Pas facile ! Jetons un trait de lumière sur la présence, ou l’absence, des traits d’union dans certaines de ces expressions ainsi que sur leur raison d’être.
Rappelons tout d’abord que le trait d’union dont nous parlons ici n’a aucun trait en commun avec celui qui sert à marquer des coupures de mots à la fin des lignes, encore moins avec le tiret (deux fois plus long, qui sert à introduire une incise ou une apposition que l’on veut détacher du reste de la phrase), et qu’il doit toujours être collé au caractère qui précède et à celui qui suit.
Nous ne traiterons pas ici de ses relations étroites avec l’utilisation des majuscules, dans les toponymes par exemple (Îles-de-la-Madeleine, Saint-Joseph), ou avec la marque du pluriel dans certains noms composés (des culs-de-sac), ni des propositions de la dernière tentative de réforme de l’orthographe française (encore mise au rancart pour quelques années), qui visaient surtout à uniformiser certains procédés; par exemple, des traits d’union partout dans tous les nombres complexes, quels qu’ils soient (cent-soixante-et-onze), mais disparition, et même agglutination des parties, dans un bon nombre de noms composés (piquenique).
Passons tout d’abord en revue les problèmes qui ont trait aux noms.
Noms composés ou non
Tirons rapidement un trait sur le vaste ensemble des noms composés traditionnels (gratte-ciel, oeil-de-boeuf, rouge-gorge). L’emploi du trait d’union dépend, d’une part, du degré de cohésion suffisant des composants pour former une expression avec un sens nouveau et, d’autre part, de l’« ancienneté » de la formation. Ces listes de noms composés sont très connues : en cas de doute, il reste facile de consulter son dictionnaire préféré.
En revanche, l’utilisation du trait d’union dans une foule d’expressions désignant des appareils, des fonctions, des métiers… plonge parfois dans l’effroi quiconque y attache un peu d’importance. Pour arriver à déterminer si nous aurons recours ou non à un trait d’union, nous devons nous astreindre à une petite analyse sémantico-syntaxique. Si les termes mis ensemble sont sur le même plan (donc si l’un ne modifie pas l’autre), ils sont reliés par un trait d’union (moissonneuse-batteuse, boulanger-pâtissier, sourd-muet, auteur-compositeur-interprète, marteau-pilon, prune-abricot). Si, en revanche, ils ne sont pas sur le même plan (donc si l’un modifie l’autre), on fait l’économie du trait d’union (poids moyen, directeur adjoint, mât avant, apprenti menuisier, camion malaxeur, yogourt nature, médecin légiste). Voilà pourquoi président-directeur général prend un trait d’union et seulement un.
Nouveaux composés
De nos jours, l’on adore former des expressions télescopées (qui reflètent en quelque sorte nos échanges Internet). Dans toutes les expressions qui suivent, il n’y a jamais de trait d’union. Pourquoi? Parce que le second terme qualifie le premier comme une sorte d’apposition ou qu’il y a quelque chose de sous-entendu comme dans tarte maison (une tarte qui a été faite à la maison) ou vente éclair (une vente qui se passe à la vitesse de l’éclair et non une vente qui est en même temps un éclair). Signalons, à titre de trouvaille tout à fait exceptionnelle, le récent contrat première embauche, concocté par nos cousins français. Je me permets de vous en fournir une liste assez détaillée, car ces expressions reviennent relativement souvent (malheureusement — c’est la vie —, les principaux ouvrages de référence et dictionnaires ne proposent pas toujours la même solution) :
âme sœur |
lampe témoin |
Noms propres
Dans le cas des noms de personnes, les mêmes règles s’appliquent : 1) trait d’union pour les prénoms composés, les deux séries les plus célèbres étant celles avec Jean et Marie (Jean-Pierre, Jean-Paul, Jean-Claude, Marie-Thérèse, Marie-Paule, Marie-Claude, etc.); 2) pas de trait d’union s’il s’agit de deux prénoms, ce qui est plus rare en français (les différents prénoms sont en principe séparés par des virgules sur les extraits de naissance de ces personnes) (Louis Stephen Saint-Laurent, Jean Paul Riopelle); 3) habituellement trait d’union pour les enfants qui, de nos jours, portent le nom de leurs deux parents (Guillaume Lemay-Thivierge) ou pour les femmes mariées qui veulent porter, en plus du leur, le nom de leur mari (Rita Dionne-Marsolais), mais ces femmes peuvent avoir choisi de ne pas mettre de trait d’union; et 4) pas de trait d’union pour introduire un surnom (Merlin l’Enchanteur, Pépin le Bref, Isabelle la Catholique). Dans le roman d’Antonine Maillet, Pélagie-la-Charrette a deux traits d’union alors qu’il ne devrait pas y en avoir (choix de l’auteure et de l’éditeur ou simple méconnaissance de la règle ?).
Rappelons-nous que ceux et celles qui attribuent des noms propres à des êtres, animés ou non, ont le loisir de se démarquer des règles habituelles… et l’on doit par la suite respecter ces formes d’écriture, si particulières soient-elles. Si le nom d’une certaine Monique s’écrit Monik, nous devons nous y conformer.
Les noms de peuples doubles s’écrivent avec un trait d’union (Anglo-Québécois, Nord-Américain, Sud-Coréen, Latino-Américain, Néo-Zélandais, New-Yorkais, Sept-Îlien, Franco-Ontarien, Extrême-Oriental, Anglo-Saxon).
Traits de ressemblance
De façon générale, les locutions employées en tant que noms s’écrivent avec un trait d’union. Comparez les exemples suivants, tirés du Français, langue des affaires d’André Clas et Paul Horguelin (McGraw-Hill) : à côté de la maison et un à-côté appréciable; c’est à peu près ça et ne vous contentez pas d’à-peu-près; à propos de votre lettre et parler avec à-propos; achetez chez nous et c’est notre chez-nous; faire part d’une naissance et un faire-part de naissance; causer en tête à tête et un tête-à-tête; la pendule fait tic tac et le tic-tac de la pendule; il serait facile d’allonger la liste.
Les traits d’union ne sont pas distribués au hasard, ils obéissent à certaines tendances profondément enracinées dans la langue française et servent souvent à clarifier la pensée de la personne qui écrit. Néanmoins, la liste qui suit, encore une fois inspirée du Français, langue des affaires, en laisse plus d’un pantois. Il faudrait en fait connaître l’histoire de l’expression pour arriver à déterminer s’il y a ou non trait d’union, et certains cas contredisent tout simplement les règles précédentes. Comparez : un corps à corps et à bras-le-corps; s’il vous plaît et c’est-à-dire; bois d’œuvre et chef-d’œuvre; compte rendu et compte-gouttes; eau de rose et eau-de-vie; haut fourneau et haut-parleur; papier journal et papier-monnaie; pot aux roses et pot-au-feu; nota bene et post-scriptum; raz de marée et rez-de-chaussée; tout de suite et sur-le-champ; face à face et vis-à-vis; faux sens et non-sens. C’est à y perdre son… trait d’esprit si l’on ne va pas, chaque fois, vérifier dans un dictionnaire.
Effectuons maintenant un vol plané au-dessus de tout ce qui a trait aux traits d’union qui gravitent autour des formes verbales et des adjectifs de couleur ainsi qu’à ceux qui unissent un préfixe ou un suffixe à un élément central. Maîtriser l’usage du trait d’union suppose que l’on sache aussi s’abstenir d’en utiliser un quand une expression n’en requiert pas. En fait, l’on est amené à se poser une triple question : les différents éléments d’une expression sont-ils séparés tout simplement par des blancs ? sont-ils reliés par un ou des traits d’union ? sont-ils carrément soudés ensemble ? Pour ne pas m’éloigner de mon sujet, j’ai délibérément négligé de traiter du problème des s, marques de pluriel ou euphoniques, même s’il est intimement lié à celui des traits d’union.
Du côté des verbes
En gros, l’on peut retenir qu’un trait d’union vient s’insérer entre le verbe et un pronom chaque fois que ce dernier se retrouve postposé au verbe : cette situation surgit avec un verbe à l’impératif, une question ou une inversion stylistique. Exemples : parle-lui, vas-y (avec s euphonique), repose-toi; vient-elle ?, peut-on ?, partez-vous ?; dis-je, croit-il, affirment-ils.
Il en va de même si un deuxième pronom vient s’ajouter ou si un t dit euphonique vient s’intercaler. Exemples : apporte-lui-en, donne-le-lui, présente-la-nous; apporte-t-elle ?, donnera-t-il ?, présente-t-on ?
Sachez éviter les pièges. Quand un pronom, ou même deux, voire trois, se retrouve entre un verbe principal et un infinitif, il est nécessaire de déterminer à quel verbe il se rattache (autrement dit de quel verbe il dépend). Dans allez-vous voyager ?, laisse-le venir, vous et le dépendent du premier verbe alors que, dans allez vous reposer, va le voir, ils dépendent du second… et l’on se doit de mettre ou d’omettre le trait d’union. Les choses se compliquent quand il y a plus d’un pronom; comparez allez-vous en prendre, de la tisane ?et allez vous en prendre au mari infidèle. Et que pensez-vous du triplé laisse-le nous en donner ? L’on remarquera que c’est, mais chaque fois sous une forme plus complexe et difficile à reconnaître, toujours la même règle du début qui s’applique.
Autre piège : y a-t-il… ? (avec seulement deux traits d’union); il en va de même pour y en a-t-il ? Encore un piège : s’il vous plaît (sans trait d’union parce que les pronoms sont préposés au verbe). L’ultime piège : va-t’en, donne-m’en, amène-m’y, s’en va t’en guerre (avec apostrophes parce qu’il s’agit de formes élidées devant voyelles, comme dans l’enfant comparé à le garçon).
Du côté des adjectifs de couleur
Afin d’exprimer toutes les nuances de la réalité, un grand nombre d’adjectifs de couleur sont composés. S’ils le sont à l’aide de deux adjectifs qui sont mis ensemble sur un même plan, donc si l’un ne modifie pas l’autre (des yeux bleu-vert, un ciel gris-noir, une robe jaune-orange), ou s’ils sont constitués d’une expression nominale composée (une veste tête-de-nègre, des fauteuils caca-d’oie, des chandails feuille-morte), vous aurez remarqué que le trait d’union est de rigueur. Si, en revanche, le deuxième élément n’est pas sur le même plan, donc s’il modifie le premier, on fait l’économie du trait d’union. Mentionnons les cas de l’adjectif ajouté (gris cendré, châtain clair, rose tendre, blanc verdâtre) ou de l’apposition (jaune serin, vert olive, bleu marine); la plupart du temps, l’apposition résulte d’une ellipse (vert comme l’olive).
Du côté des préfixes
Il y en a beaucoup ! Et de toutes les sortes ! Mais l’on ne retrouve en fait que trois types de formation, comme je le mentionnais précédemment : espacement, trait d’union ou soudure. Mais quoi va avec quoi ? Et il semble y avoir tant d’exceptions ! Et, comble du malheur, les dictionnaires se contredisent plus d’une fois dans leurs recommandations. Passons en revue les cas les plus fréquents ou ceux qui semblent faire problème.
Non et quasi s’unissent au mot qui suit par un trait d’union seulement lorsqu’il s’agit d’un nom. Comparez les non-inscrits et les stagiaires non inscrits, les non-fumeurs et les voyageurs non fumeurs, c’est une quasi-certitude et c’est quasi certain, un quasi-épuisement et il est quasi épuisé. Il n’y a pas d’exception.
Demi, semi, mi et nu s’unissent toujours au nom ou à l’adjectif qui suit par un trait d’union (et sont invariables) : une demi-heure, une semi-vérité, mi-long, nu-pieds. Placés après le nom, ils ne prennent plus de trait d’union (et s’accordent) : une heure et demie, pieds nus. Là encore, aucune exception : dans à demi caché, il ne s’agit pas de demi + adj. mais de à demi + adj.; dans mi par intérêt, par est une préposition.
Nous formons très souvent de nouveaux mots avec un certain bagage de préfixes, et ces mots ne figurent pas toujours dans les dictionnaires : il importe donc de bien connaître la règle de formation qui suit : Les préfixes anti, archi, auto, bi, co, hydro, inter, intra, juxta, micro, mono, para, photo, pré, radio, super, télé, tran, ultra… s’unissent au mot qui suit sans trait d’union. Exemples : anticonceptionnel, archiconnu, autobiographie, biculturalisme, coauteur, copropriétaire, cofondateur, interrelié, intraveineux, juxtaposé, microprogramme, parapublic, préétabli, prétest, supervente, télécommunications, transcanadien, ultravoyant. Il y a encore peu de temps, lorsqu’un préfixe se terminant par une voyelle s’unissait à un mot qui commençait par une voyelle, on ajoutait presque systématiquement un trait d’union. Ce n’est plus le cas, mais on évite encore souvent la rencontre de deux voyelles identiques : micro-ondes, tout en tolérant celle de deux consonnes identiques : post-test ou posttest, comme dans prétest.
Les cas particuliers pleuvent, mais se laissent expliquer facilement. Dans anti-inflationniste sans trait d’union, il y aurait la rencontre de deux i; dans anti-nuisances, il y a la rencontre de i + n, qui se prononcent comme une seule voyelle nasale (par exemple, intelligent); dans micro-informatique, o + i se prononceraient comme dans oiseau; dans intra-utérin, sans trait d’union, on retrouverait un son comme dans autodidacte; dans anti-sous-marin, sous semblerait plus associé à anti qu’à marin; dans Anti-Atlas, nous avons affaire à un composant qui fait partie d’un nom propre; dans auto-stop, auto signifie plutôt voiture; post-scriptum est un mot emprunté du latin.
Par ailleurs, grand suivi d’une apostrophe fait vieilli, et le recours au trait d’union (sur le modèle de grand-mère) s’est généralisé : grand-route, grand-chose, grand-messe, etc. En ce qui concerne les préfixes contre et entre, les exceptions sont si nombreuses que je n’ose vous recommander quelque règle que ce soit. Comparez contre-attaquer, contre-chant, à contre-courant, contre-culture à contrebalancer, contrechamp, à contrecœur, contredanse. La plupart des composés formés à partir d’entre sont complètement soudés (entrebâiller, entremise, entrelacement), mais quelques-uns ont conservé un trait d’union (entre-bande, les verbes pronominaux tels que s’entre-déchirer, s’entre-dévorer…).
Pour être sûr de l’emploi correct de ces préfixes, de même que d’autres (sous, pseudo, post, ultra…), il vaut toujours mieux consulter un bon dictionnaire. Citons enfin ces dernières séries, qui entraînent beaucoup de confusion : les locutions formées à partir d’au, par, ci d’une part et devant, dessus, dessous, delà… d’autre part prennent un trait d’union, mais non en (en dessus, en dessous). J’ai repris, sous forme de liste, quelques-uns de ces exemples et beaucoup d’autres dans l’encadré ci-dessous; ils constituent de bons spécimens de cas que l’on rencontre quotidiennement.
Du côté des suffixes
Les suffixes concernés qui font parfois problème sont là, ci et même. Là et ci affichent un trait de caractère particulier : un trait d’union là où l’on n’en attendrait pas, par exemple dans les expressions jusque(s)-là, par-ci par-là et de-ci de-là. Là et ci, lorsqu’ils concourent à former une expression démonstrative, s’unissent au mot, composé ou non, qui précède par un trait d’union : celui-ci, celles-là, ce mardi-ci, cette cravate-là, cette pomme-là, cet arc-en-ciel-là, ce sous-chef-là. Il n’y a rien là, comme dirait ma nièce… Là où les choses se compliquent, c’est lorsque le mot qui précède consiste en une expression. La plupart des auteurs d’ouvrages de référence recommandent l’omission du trait d’union, pratique que je n’approuve pas, considérant que ce là-là (qui n’est pas un adverbe de lieu) ne peut « tenir tout seul ». Des deux solutions, il me semble que l’une « paraît » mieux que l’autre; je recommande donc ce mardi gras-ci, cette cravate rayée-là, cette pomme de terre-là.
Enfin, attention à même. Cet élément qui marque l’insistance ne s’unit intimement (au moyen d’un trait d’union) qu’aux pronoms, mais non aux noms, adverbes et autres expressions : lui-même, elles-mêmes, mais la patronne même, aujourd’hui même, ici même, à Noël même. Cherchez la nuance de sens entre chez nous-mêmes et chez nous même (si vous trouvez un moment pour le faire, envoyez-moi un message : cela me ferait plaisir).
Les traits d’union sont essentiels, nous ne saurions nous en passer, même s’ils sèment la désunion parmi les utilisateurs du français.
Trait distinctif
En cas de doute, il reste facile de consulter le Multidictionnaire (Québec Amérique, 3e édition) à l’entrée de chaque mot qui semble faire problème et l’Aide-mémoire grammatical de Michel Therrien (Gaëtan Morin, 2e édition) à l’index des mots. Et surtout, n’oubliez pas que trait d’union s’écrit sans cette petite chose.
Par ailleurs, n’essayez pas de fondre ensemble ou d’harmoniser les règles d’utilisation du trait d’union du français à celles de l’anglais : elles sont très différentes et constituent, encore une fois, un trait distinctif de notre société.
Mots ou expressions avec préfixe ou suffixe sur lesquels on hésite
anti-indépendantiste |
agroalimentaire |
au côté |
maxi-instrument |
macroéconomique |
non coupable |
le sans-emploi |
proallié |
être sans emploi |
de-ci de-là |
deçà, delà (loc. adv.) |
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